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L'été caniculaire de 1921

L'année la plus sèche depuis 50 ans vue par la presse.

L’année de juillet 1920 à juillet 1921 disent les météorologistes est la plus sèche que l’on ait enregistré depuis de très nombreuses années. Voici une statistique qui établit au profit de l’année que nous vivons présentement le record de sécheresse. C’est une année qui aura vu beaucoup de records.

Les renseignements qui nous ont été fournis par le service de climatologie de l’office national météorologique indiquent que le manque d’eau que nous subissons actuellement constitue un record dont nos campagnes se seraient bien passées.

En effet depuis le début du mois de juillet jusqu’à aujourd’hui, il n’est tombé que 4,4 mm d’eau de pluie et cela en trois journées. Les autres jours ont été absolument dépourvus d’eau. En outre dans la seule journée du 15, on a enregistré 3,3 mm les deux autres journées pluvieuses n’ont donc atteint ensemble que 1,1 mm.

Dans la dernière décade de juillet 1920 on avait compté 9 jours de pluie fournissant 37,8 mm de pluie. C’est là un heureux exemple que devrait bien suivre la décade dans laquelle nous entrons. D’autre part, en août 1920, il est tombé 21,3 mm d’eau de pluie, en septembre 19,8 mm, en octobre 69,3 mm, en novembre 26,5 mm, en décembre 34,5 mm, en janvier 1921 le niveau des pluviomètres est tombé à 20,8 mm, en février à 4,9 mm, en mars à 21,5 mm, en avril à 24 mm, en mai à 32 mm et en juin à 1,1 mm. Pour l’ensemble de l’année du 21 juillet 1920 au 21 juillet 1921 on compte donc 317,9 mm.

Si on limite l’année entre ces deux dates on se trouve devant l’année la plus sèche que l’on ait enregistrée, depuis 50 ans que les services de climatologique fonctionnent avec toutes les garanties d’exactitude. L’année la plus sèche de cette période (1899) avait en effet atteint 417,6 mm soit 100 mm de plus que cette année. Quelques autres années ont atteint un degré de sécheresse grave mais qui n’était pas comparable : en 1884 on note 442 mm et en 1900 444 mm.

Le mois de juillet le plus sec fut le mois de juillet 1885 pendant lequel il tomba 14,1 mm d’eau de pluie, ce mois fut également celui qui compta le moins de jours pluvieux : 2. Le plus humide au contraire fut celui de 1920 qui atteignit 119,5 mm et bénéficia de 17 jours de pluie. Le maximum des jours humides en juillet fut atteint par les années 1883 et 1888 qui comptèrent 22 jours de pluie.

Le 23 juillet 1921 : déjà trois morts.

C’était hier le premier jour de la canicule, mais la série des jours caniculaires est depuis longtemps commencée comme chacun a pu s’en apercevoir. Pourtant la journée d’hier a été marquée par un redoublement de chaleur et le thermomètre qui jusqu’ici s’en était tenu à 32 degrés à l’ombre est monté jusqu’à 34 degrés. Et le nombre des victimes de cette température « sénégalienne » augmente tous les jours. C’est ainsi qu’hier au soir à 6 heures le sieur G, 76 ans, cantonnier, domicilié à Firminy, succomba aux suites d’une hémorragie cérébrale. Cela porte à trois le nombre de personnes qui succombent des suites de la période caniculaire que nous subissons, sans compter plusieurs cas d’insolation sans gravité. Et les savants s’accordent, du haut des observatoires les plus variés, à nous annoncer que ne nous ne sommes pas à la fin de nos beaux jours.

Hier le record de chaleur détenu par le jour précédent a été battu. Le thermomètre a fait un nouveau bond d’un degré. Où cela finira t-il dit le cultivateur qui voit se dessécher si rapidement ses récoltes d’automne. C’est la question que se pose également le citadin obligé de fouler aux heures de midi le bitume des trottoirs de la grande ville pour aller prendre son repas si durement gagné.
La canicule poursuit implacablement ses méfaits. Avant-hier elle soufflait à l’esprit d’un pauvre bougre de la rue Alfred de Musset de mettre le feu à son lit. Hier elle poussait un autre de nos concitoyens à se promener dans les rues munie d’un fusil de chasse. Dans les environs de Maclas, elle favorise l’éclosion de multitudes de sauterelles qui dévorent sans pitié vignes, betteraves, pommes de terre.
Chose inattendue, elle a même eu comme effet de faire baisser le cours de la viande, les éleveurs se trouvant forcé de vendre leurs bovins à cause du manque d’eau et de la rareté des herbages.

La chaleur a été hier plus torride et plus accablante encore que les journées précédentes. Le thermomètre que nous consultons avait atteint à l’ombre 34 degrés. Il a eu hier l’insolence de monter jusqu’à 38°C. À dix heures du soir, l’air libre, il marquait encore 29°C. Mais à quoi bon ces constatations puisque chacun les enregistre sinon avec plus de précision, du moins avec une sensibilité plus grande. Aussi les conséquences de cet état de choses sont-elles désastreuses : forêts incendiées, récoltes séchées sur pied, insolations, cas journaliers de folie, chômage même sont le triste bilan de cette chaleur tropicale.
Et le quotidien stéphanois de recenser les nombreux foyers d’incendies déclarés dans la vallée de Cotatay près du Chambon-Feugerolles, à Champdieu, Saint-Galmier, La Talaudière. En Haute-Loire 300 hectares partaient en fumée près de Vorey-sur-Arzon (sur le même site que les grands incendies de 1976). La rubrique « faits divers » faisait aussi état de plusieurs cultivateurs qui s’étaient pendus ou jetés dans les mares après l’incendie de leurs granges. Plusieurs cas de morts d’insolation sont aussi signalés. À Lapalisse (Allier) le débit de la rivière a tellement baissé que 100 ouvriers chôment, l’eau ne pouvant plus faire fonctionner l’usine de boutons.

Un incendie s’est déclaré chez M. Jacques Plotton, cultivateur à Villars. Trois meules de blé ont été la proie des flammes. L’incendie se propageant avec rapidité, la Mairie téléphona au poste de pompiers de St-Étienne qui immédiatement se rendit sur les lieux. « Grâce au dévouement de tous, la part du feu fut vite faite et tout danger fut écarté. La perte, assez considérable, est croyons nous, couverte par l’assurance. Les immeubles voisins du sinistre ont pu être protégés et de ce fait une plus grande catastrophe a pu être évitée Les dégâts, purement matériels, sont couverts par une assurance » raconte la presse locale.
Le sujet est suffisamment grave pour être inscrit à l’ordre du jour du conseil municipal de Villars du 27 août, présidé par le maire Louis Soulier. On y retrouve la délibération suivante. Sept personnes de la localité, les nommés Vey, Bonhomme, Cizeron, Chavassieu, Carrier, Abouzit et Gouzet ont dû travailler toute la nuit pour éteindre l’incendie et grâce à leur dévouement on a pu empêcher le sinistre de prendre des propositions inquiétantes. De ces faits, ces sept ouvriers qui n’ont que leur travail journalier pour faire vivre leur famille n’ont pu le lendemain se livrer à leurs occupations habituelles. En conséquence il y aurait lieu de les indemniser pour le travail qu’ils ont fait. Le conseil propose de leur allouer la somme de 30 francs à chacun (soit 33 euros d’aujourd’hui), soit au total 210 francs à prendre sur les fonds libres de la commune.

La canicule sévit avec une rigueur implacable. Le thermomètre a enregistré encore hier 36°C. C’était intenable comme on dit chez nous. Pourtant ce n’est rien comparativement à la capitale de la péninsule ibérique où le thermomètre a marqué 41°C à l’ombre. Malheureusement cette sécheresse persistante ne va pas sans multiplier de jour en jour ses ravages.
Au chapitre faits divers on lit que quatre maisons partent en fumée à Saint-Maurice-en-Gourgois. Le train de marchandises de la ligne de Saint-Étienne à Roanne met le feu au talus en plusieurs endroits.
Cet état anormal de la température fait que notre ville devient de plus en plus déserte. Malgré le retour précipité de nos compatriotes tous unanimes à déclarer que la chaleur est encore beaucoup plus intense dans nos villes d’eau voisines. L’exode se fait dans la montagne et notre région est toute désignée pour cela. Le malheur c’est qu’il est difficile de trouver à s’y caser.

Enfin elle arrive, la pluie. Cette nuit à 1 heure et quart des éclairs sillonnaient l’espace, déchirant de leurs zigzags fulgurants les ténèbres épaisses. Bientôt un grondement sourd du tonnerre se faisait entendre, immédiatement suivi d’une chute d’eau que l’on désirait abondante. Souhaitons qu’elle persiste car cette pluie sera encore la salvatrice de nos récoltes.
Vers 5 heures du matin elle se montra moins parcimonieuse et c’est une copieuse averse dont nous fûmes gratifiés. Le thermomètre s’en ressentit car il ne s’éleva pas au-dessus de 23°C au maximum de la manifestation solaire. Il est à présumer et à souhaiter que la terre pourra se désaltérer pour le plus grand bienfait des récoltes compromises.
Par endroits, l’orage est violent. Dans le Roannais la grêle cause d’importants dégâts, hachant la vigne et les récoltes maraichères dans les jardins, brisant vitres et vitrages, tuant quantité d’oiseaux qui avaient cherché refuge dans les arbres. À Feurs et à Saint-Chamond on relève aussi des dégâts matériels causés par la foudre et la grêle.

Il semble bien que c’en est fini de la chaleur tropicale dont on eut à souffrir pendant près de 40 jours consécutifs. La pluie a rafraichi la température au point de faire sortir du vestiaire le pardessus de mi saison.
Les fêtes de l’Assomption ont été marquées par une pluie persistance et fort incommode. Quant à la température, elle baisse de plus en plus.

Sources : Le Mémorial de la Loire, délibérations du conseil municipal de Villars
©H&P-Pierre THIOLIÈRE

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