1796 : obligé de faire du blé plutôt que d'aller au charbon !
Jean Begon, le fermier des Hospices de Saint-Étienne devait y planter des céréales. Mais dans la terre des Joncs c’est le charbon qui sort de terre ! De quoi se retrouver convoqué devant le juge de Paix.
Étonnante histoire que celle qui a nécessité l’arbitrage du juge de paix au mois de mars 1796. À cette époque la petite commune de Villars compte à peine 500 habitants. Le maire est Jacques Bertholon, un riche propriétaire terrien dont on connait peu de chose. La principale activité économique du village est la fabrication de platines et de boucles de fusil. On compte en effet de multiples forgeurs et armuriers dans les différents quartiers où la passementerie n’a pas encore pignon sur rue. Laboureurs et fermiers apparaissent aussi nombreux au registre de l’état civil.
La présence de charbon à fleur de sol est déjà bien connue à cette époque sur le périmètre communal, mais son exploitation (extraction, tri et expédition) n’est pas suffisamment industrialisée pour en faire une activité rentable. Seules deux exploitations fonctionnent dans le secteur du Bois-Monzil et on ne parle pas mineurs mais de charbonniers.
Les plus grandes parcelles de terrains appartiennent alors à des familles de notables (les Mathevon de Curnieu, les Ravel de Montravel et de la Terrasse et autres Bérardier, Praire-Royet, Lemore-Carrier) qui ont traversé sans trop de dommages la période agitée de la Révolution.
Les Hospices de Saint-Étienne sont aussi propriétaires de nombreuses terres et de prés. C’est notamment le cas de tout le complexe sportif actuel avec la Sapinière et jusque sur les hauteurs du Martourey. Ce domaine est alors géré par Jean Begon qui en est le fermier. C’est aussi un citoyen important du village. Il intervient dans la gestion des affaires communales et deux de ses fils (Pierre puis Jean Baptiste) seront successivement maires de la commune de 1798 à 1808.
Toujours est-il que Jean Begon doit se justifier devant le juge de Paix car les administrateurs des Hospices lui reprochent d’avoir extrait du charbon de leur terre destinée à la plantation de céréales et de l’avoir revendu, ce qui n’est pas prévu dans le contrat de fermage. Pour cela ils demandent une amende du montant de la revente du charbon et des dommages et intérêts à hauteur de 30 000 livres. Une somme colossale car l’enjeu est de taille. L’exploitation du charbon est alors soumise à concession avec des gros enjeux financiers.
Des frères surpris en flagant délit !
Le citoyen Begon ne manque pas de contester une telle affirmation et le juge, accompagné de son greffier (qui en a fait le compte rendu) et de ses assesseurs (le maire de Villars et son adjoint) se rendent donc immédiatement sur place. Le site évoqué s’appelle alors la terre des joncs, longeant le chemin qui grimpe au Martourey. Il est précisément identifié aujourd’hui comme se trouvant juste au bord du petit étang qui sert de rétention aux eaux de pluie et qui est alimenté par la source des Joncs.
Manque de chance pour Begon, non seulement la carrière de charbon existe bien, mais deux frères, Georges et Jean Baptiste Baret de Curnieux, sont justement en train d’extraire des sacs de charbon. Aux questions posées, ils répondent qu’ils se livrent à cette activité depuis la Toussaint et que le charbon y est de très mauvaise qualité, mais qu’étant pauvres ils ont cru pouvoir se servir dans cette carrière abandonnée. Ils avouent par ailleurs avoir fourni à Jean Begon « trois chars de charbon pour le dédommager du droit de passage et non pour cause d’extraction ». Le juge pousse son interrogatoire plus loin et il s’avère qu’auparavant les dénommés Patouillard, Chovet et Offray ont aussi prélevé là du charbon, le dernier nommé ayant perdu dans la vie en travaillant dans ladite carrière (1)
Le juge prononcera au final l’interdiction de continuer toute extraction de la terre des Joncs sous peine d’amende de 10 000 livres.
Ce ne sera que partie remise puisque quelques années plus tard (en 1838) sera foncé à côté de là le puits Gallois, cette carrière de charbon étant ensuite recensée comme la fendue Gallois ou fendue des Joncs. Preuve qu’ici la terre était plus propice à trouver du charbon qu’à y faire pousser du blé !
(1) On trouve effectivement trace à l’état civil du décès de Balthazar Offray (aussi orthographié Auffret et Lauffrey), charbonnier à Villars puis indigent, marié à Marie Patouillard, décédé le 13 août 1795 à 8h du matin en présence de son beau-frère Baptiste Patouillard.
Sources : archives municipales de Villars ; état civil.
©H&P-Pierre THIOLIÈRE