De la mine aux tranchées
Le triste destin de Pierre Montélimard, mort pour la France le 18 décembre 1914.
Lorsque débuta l’année 1914, Pierre MONTÉLIMARD, mineur du Bois Monzil et alors âgé de 27 ans, était bien loin d’imaginer qu’elle allait lui apporter les plus grandes joies mais aussi les pires peines et pour finir, la mort.
Certes, depuis déjà quelques années, la Tribune Républicaine et le Mémorial de la Loire, deux des journaux régionaux de l’époque, évoquaient régulièrement les tensions entre la France et l’Allemagne. Et bien sûr, très souvent, lorsqu’il descendait travailler au fond de la mine, on parlait de revanche. Tous les anciens de Villars (comme le père LAYES, son voisin au Bois-Monzil) qui avaient fait la guerre de 1870-1871 étaient là pour leur rappeler que la France n’avait fait le deuil ni de l’Alsace, ni de la Lorraine.
Mais avant la cloche du tocsin qui allait bientôt résonner à Villars comme partout ailleurs le jour de la mobilisation générale, ce sont d’abord les cloches du bonheur qui devaient sonner à toute volée, le 21 février 1914 à l’occasion de son mariage avec Jeanne, la fille de Claude et Rose GIDROL du Bourg.
Le printemps passa bien vite et lui succéda un été chargé de lourds nuages. Lorsque le 3 août 1914, Pierre MONTÉLIMARD dût rejoindre Montbrison, lieu de dépôt de son Régiment de rattachement, son épouse était enceinte depuis déjà plusieurs mois. Ce jour-là, la petite gare de Villars n’avait jamais connu pareille affluence.
Pierre MONTÉLIMARD fut affecté au 216ème RI qui partit pour la frontière (celle de 1871) le 11 août 1914. Pas une fois dans les nombreux courriers qu’il envoya à son épouse lors de sa traversée de l’Alsace à pied durant le mois d’août, à la poursuite de l’ennemi, il ne s’est plaint. Et même lorsque le 20 août, il arriva sur le champ de bataille près de Mulhouse, l’arme à la main, il n’eut d’autre préoccupation que de ne pas inquiéter son épouse.
Celle-ci s’était finalement installée chez ses parents, au bout de la place de l’église, guettant chaque jour le facteur, se tenant régulièrement au courant des combats. L’arrivée des premiers blessés de guerre à Villars ne faisait qu’accroitre ses craintes.


Entendre siffler les balles et les obus.
La guerre, jusque-là aperçue de loin ou après coup, Pierre finira par la vivre en première ligne, lors de la bataille de la Marne. Après un long voyage en train qui l’emmena précipitamment de l’Alsace au nord de Paris le 29 août, suivirent quatre jours de marche forcée de repli vers le Sud pour couper la route à ces Boches qu’il n’avait pas encore vus.
Cette fois l’ennemi était là, en face de lui, en ce matin du 6 septembre 1914. Après trois jours d’escarmouches puis de combats acharnés et pratiquement sans répit, c’est près de la ferme Nogeon que l’ombre de la mort le frôla pour la première fois. Alors que nombre de ses camarades étaient tombés, morts pour la France dans la fleur de l’âge, c’est un éclat de shrapnell, reçu dans le genou, qui le mit à terre le 8 septembre. Ses camarades de Villars Jean Baptiste BERTHELOT, Claude Marie DECITRE, Pierre NICOLAS et Claude VINCENT, tous comme lui soldats au 216ème RI, ne s’en relèveront pas.
De cette période, Pierre gardera de noirs souvenirs, entendant encore siffler les balles et les obus. À une époque pendant laquelle pour pareille blessure on amputait facilement d’un membre, voire on mourrait en quelques jours de gangrène gazeuse, Pierre eut la chance de se remettre facilement. L’éclat d’obus n’avait pas touché l’os, « traversant les chairs molles » selon le bilan effectué à l’hôpital. En 1914, l’organisation du service de santé était encore déficiente. Et les soldats blessés étaient emmenés en convoi pour des destinations lointaines qui, hélas, compromettaient parfois leurs chances de survie.
Pierre MONTÉLIMARD se retrouva ainsi transporté à l’hôpital temporaire de Nantes (alors département de la Loire-Inférieure). Il attendit d’être arrivé pour prévenir son épouse de son infortune en lui précisant d’emblée « que ce n’était pas grave ».
Loin du tumulte des canons, Pierre se remit d’ailleurs rapidement. De Nantes, il fut transféré quinze jours plus tard dans un hôpital de convalescence à Plessé, toujours dans la Loire-Inférieure, à une quarantaine de kilomètres plus au nord. Il s’agissait là d’un petit hôpital de convalescence d’une cinquantaine de lits, aménagé dans un joli château situé dans un grand parc que Pierre eut tout le loisir d’arpenter, faisant au passage plus ample connaissance avec les « Bretagne » qu’il ne trouva pas « aussi belles que les filles de Villars ».


Retour au front.

Après un mois de soins attentionnés dans les hôpitaux de la région de Nantes, Pierre MONTÉLIMARD fut invité à rejoindre son centre de recrutement à Montbrison. De début août à début octobre 1914, en l’espace de deux mois, il aura ainsi effectué un étonnant périple de Montbrison à l’Alsace, puis au Nord et à l’Est de Paris et enfin à Nantes pour finalement revenir à la case départ. Ainsi en avait décidé le tourbillon de la guerre.


Et cette blessure au genou, sans grande gravité, allait finalement faire son bonheur… pour quelques jours du moins. Certes, amputé il aurait été définitivement réformé, comme son camarade Jean Claude POTARD également du Bois-Monzil, enrôlé dans le même Régiment (classe 1904) et qui avait laissé sa jambe droite dès les premiers jours de la bataille de la Marne. Lui aura la chance, si l’on peut dire, de survivre à la guerre et de s’éteindre, entouré des siens en 1970.
Parti depuis deux mois donc, alors que la France pleurait déjà ses morts par centaines de milliers, il allait revoir sa famille. Ce mois d’octobre 1914 passé entre permission et attente d’un nouveau départ depuis Montbrison, fut marqué d’un moment inoubliable. Sa femme, Jeanne pratiquement arrivée à terme, accoucha à Montbrison, rue Tupinerie, à quelques centaines de mètres de la caserne. Certes, Pierre espérait un fils comme le laissaient transparaitre ses lettres, mais la naissance de la petite Rose le 10 octobre 1914 à huit heures du soir le combla de bonheur. Il était papa !
C’est bien sûr avec le coeur gros qu’il abandonna une nouvelle fois les siens, rappelé par le devoir le 7 novembre 1914. Il s’en alla cette fois rejoindre le 16è RI en première ligne dans le secteur de Beuvraignes en Picardie. Lui qui n’avait connu que la guerre de mouvement en plein été, les nuits à la belle étoile et les combats à travers champs, il découvrit subitement les tranchées, la boue et les premiers froids.
Heureusement, le front était plutôt calme dans ce secteur, avec de temps en temps une pluie d’obus et quelques escarmouches qui faisaient régulièrement leur lot de victimes. Depuis Beuvraignes, le 16è RI changea de secteur le 24 novembre 1914 pour descendre quelques kilomètres plus au Sud aux environs de Canny-sur-Matz. Le Régiment restera d’ailleurs plusieurs mois dans ce secteur dont il connaîtra les moindres recoins.
Une attaque vouée à l'échec.
À la mi-décembre, il se murmurait qu’une offensive se préparait. Il s’agissait officiellement de tester les résistances de l’ennemi. Et c’est finalement le bois Triangulaire (nom dû à sa forme) également nommé bois Verlot, dans le secteur de Canny-sur-Matz (Oise) qui fut choisi comme cible. Ce serait donc le 16è RI qui monterait à l’attaque.
Les premiers plans prévoyaient au départ qu’un bataillon entier (soit plus de 1 000 hommes) partirait à l’offensive. Le coup de main fut finalement limité à deux compagnies (500 hommes) dont la 2è compagnie, celle de Pierre MONTÉLIMARD. Et une date fut finalement choisie : le 17 décembre à 7 heures du matin.
Pierre et ses camarades virent ainsi arriver parmi eux deux sections du 2è Régiment du Génie. En l’espace de deux nuits, les Sapeurs avaient aménagé quatre trouées en direction de l’imposant barrage de frises de barbelés ennemis, composé d’un réseau bas de 3 mètres d’épaisseur, puis d’un réseau haut. Le tout d’une profondeur de 10 mètres, pratiquement infranchissable. Leur objectif : y préparer les charges qui serviraient à dynamiter les réseaux au moment de l’attaque.
L’offensive était ainsi prévue : le 17 décembre à 7 heures devaient s’élancer deux compagnies du 16è RI en direction du bois Triangulaire précédées des Sapeurs qui devaient faire sauter les charges d’explosifs sous les défenses ennemies. L’Artillerie devait quant à elle accompagner cette attaque par un rideau d’obus visant à repousser l’ennemi de sa première ligne et à le bloquer à la sortie du bois par un deuxième rideau d’obus.
Une fois les fantassins parvenus dans la tranchée allemande, les renforts devaient suivre. À la mi-journée, le bois Triangulaire devait avoir changé de main. Sur le papier tout semblait facile et bien coordonné.
Mais face à de tels préparatifs, les Allemands furent rapidement mis en alerte, à tel point qu’il fallut, à la toute dernière minute et alors que tout était prêt, reporter l’attaque d’un jour. Le terrain était en effet trop éclairé et l’ennemi sur le qui-vive. Une chose était désormais certaine : l’effet de surprise n’allait pas jouer.

Porté disparu.
L’attaque eut bien lieu le 18 décembre 1914. Elle fut même avancée d’une heure pour débuter à 6 heures. Pas une heureuse idée puisqu’il faisait encore nuit noire. Mais le 18 à l’heure dite, tout le monde était prêt. Le projet initial avait subi bien des amendements. Moitié moins d’hommes, pas d’effet de surprise et finalement un barrage d’artillerie annulé.
À cela s’ajouta l’imprévisible. Les explosifs mis en place sous les défenses ennemies ne produisirent pas l’effet escompté. La destruction des frises ne fut donc qu’incomplète. À peine quelques trous de souris qui ne permirent pas de prendre d’assaut en nombre les tranchées allemandes. Pire même, une des quatre charges ne put être mise à feu, les soldats se retrouvant exposés face à un mur de fils de fer barbelés.
Néanmoins quelques sapeurs et fantassins isolés réussirent l’exploit de parvenir jusque dans la tranchée adverse. D’autres, égarés dans la pénombre, ne parvinrent pas à trouver les passages et longèrent en vain les défenses, servant de cibles au feu nourri des mitrailleuses allemandes. Leurs dépouilles mortelles restèrent tristement accrochées aux frises ennemies pendant des jours, sinistres épouvantails rappelant l’échec de cette attaque.
À 6 h 45, le jour étant levé, il devint impossible d’engager tout mouvement offensif. Les soldats encore vivants et présents dans le no man’s land durent chercher des abris de fortune sur le terrain pour se protéger des tirs ennemis. Les Allemands n’hésitèrent pas à achever les blessés qui s’efforçaient de s’abriter.
À 9 heures, ordre fut donner de ramener les troupes engagées en arrière. Mais il fallut attendre la nuit pour permettre aux survivants de regagner leurs lignes et venir en aide aux blessés restés sur le terrain.
Avec 20 tués, 30 disparus et 68 blessés, le 16è RI avait payé un lourd tribut à une attaque totalement infructueuse.
C’est là que, pour la dernière fois, on aperçut Pierre MONTÉLIMARD encore vivant. Il montait à l’assaut avec ses camarades, la baïonnette au canon. Il est mort ici, au Bois Triangulaire, tombé pour la France sous les balles allemandes.
Son corps n’a jamais retrouvé, resté dans le no man’s land, entre les lignes françaises et allemandes. Il aurait fallu une trêve, à Noël par exemple, pour relever tous ces cadavres et les enterrer dignement. Au lieu de cela, ils sont restés sous le soleil, la pluie et le vent. Et aussi sous les obus des deux camps qui régulièrement ont pilonné le secteur.



Avec Pierre MONTÉLIMARD, bien d’autres ne sont pas non plus revenus de cette attaque. Il y avait notamment Mathieu MAGAND (34 ans) de Roche-la-Molière, mineur comme lui, Jean Marie MICHALON (21 ans) boulanger à la Fouillouse ou encore Régis MONTMARTIN (23 ans), né comme lui à Villars et qui vivait chez sa mère, veuve, à Saint-Priest-en-Jarez. C’est dire qu’entre eux ils avaient dû parler du pays ! Et ils sont morts le même jour, les uns à côté des autres, bien loin des villages qui les avaient vu naitre et grandir et où on les attendrait longtemps en vain.
Ce qu’il y a de certain, c’est que l’épouse de Pierre a bien longtemps voulu croire à la survie de son mari. Blessé ou prisonnier, c’était là son espoir. Il allait un jour revenir. Vain espoir finalement déçu.


Source : « De la mine aux tranchées » de P. Thiolière, disponible à la médiathèque de Villars et au musée Jean Marie Somet.