Réfugié espagnol républicain mort dans les chambres à gaz des nazis.
Chassée par la guerre d’Espagne, la famille Mercadal est réfugiée à Villars rue du Breuil en 1939. Déporté au sinistre camp de Mauthausen, Antonio le fils ainé sera gazé par les Nazis. Retour sur une triste page de Seconde Guerre mondiale.
Antonio Mercadal-Cardona (né en 1905) était l’aîné d’une famille de neuf enfants, républicains espagnols, originaires de l’île de Minorque. Cordonnier de métier, il s’engage dès le début de la guerre d’Espagne dans la lutte contre le fascisme notamment avec son jeune frère Enrique.
Tous les deux sont, semble-t-il, membres de la Fédération anarchiste ibérique. En novembre 1936, leur oncle Joan est tué lors d’un bombardement par le régime fasciste de la base navale de Port-Mahon, là où vit toute la famille Mercadal. Ce drame laisse un fils de deux ans et une épouse enceinte dans le plus grand dénuement. L’ile de Minorque va résister aux troupes de Franco jusqu’en février 1939 et sa reddition.
La famille Mercadal (composée de 9 frères et soeurs avec parents et enfants) doit alors fuir le Franquisme et tout abandonner sur place. Contrainte et forcée, elle quitte son île natale le 9 février 1939 avec 450 autres réfugiés à bord du croiseur britannique « le Devonshire » venu leur porter assistance.


Un passage forcé par Argelès.
La première étape de cet exil forcé se situe à Marseille où les réfugiés sont débarqués. Puis ce sera direction le camp d’internement français d’Argelès (dans les Pyrénées-Orientales) en février 1939 où les premières sélections se font. La famille Mercadal semble alors être séparée.
Le 20 mars 1939 le gouvernement Daladier publie en effet un « décret relatif à l’extension aux étrangers bénéficiaires du droit d’asile, des obligations imposées aux Français par les lois de recrutement et la loi sur l’organisation de la Nation en temps de guerre ». Pour faire face au manque de main-d’oeuvre pour la défense nationale et pour mettre les étrangers à égalité de devoirs avec les Français, le droit d’asile est désormais subordonné à une mobilisation économique sous forme de prestations.
Les frères Mercadal se trouvent ainsi pour certains affectés dans les compagnies de travailleurs espagnols (CTE) et pour d’autres directement placés par le ministère du Travail dans l’industrie ou l’agriculture. La compagnie des Mines de Saint-Étienne fait ainsi appel à cette main d’oeuvre bon marché et indispensable au fonctionnement de l’économie.
L'arrivée à Villars.
On retrouve la trace de la famille Mercadal à Villars à l’automne 1939. Mais elle était peut-être déjà là un peu avant. Deux documents officiels en attestent qui concernent Juan et son épouse Herminia Salom-Pons.
Leur fils ainé, le petit Antonio (9 ans, il est né en 1930) apparait dans le registre des effectifs scolaires de l’école communale de garçons, il y est enregistré à la date du 26 octobre 1939. Il n’a alors probablement qu’une connaissance très limitée du français. Mais c’était aussi le cas d’autres réfugiés passés par Villars. Son père est alors déclaré comme ouvrier mineur, habitant au Breuil.
On sait qu’Antonio a deux soeurs jumelles, Franscisca et Catalina, née en 1932. Elles ont donc probablement été scolarisées à l’école de fille. Mais le registre qui pourrait en attester a aujourd’hui hélas disparu.
Un an plus tard, à l’état-civil du 15 octobre 1940, est enregistrée la naissance de Simon Mercadal, fils de Joan et d’Herminia, demeurant rue du Breuil.
Combien de temps la famille est-elle restée à Villars ? On l’ignore. Joan semble s’être fixé dans la région toulousaine après-guerre. Son fils Simon, le natif de Villars, s’est en tous les cas marié à Buros, près de Pau en 1964.
Qu’est devenu le reste de la famille à cette période ? On sait juste avec certitude que Antonio et Guillermo ont été enrôlés dans les Compagnies de Travailleurs Espagnols (CTE).


Une main d'oeuvre bon marché.
Pendant la campagne de France (mai et juin 1940) certaines de ces Compagnies de Travailleurs Espagnols, affectées à des travaux de fortification et de défense passive, se retrouvent même en première ligne, au contact avec l’ennemi, subissant des pertes sévères.
Après la défaite, la Wermacht et les Einsatzkommandos vont faire prisonniers plusieurs milliers de ces prestataires étrangers en zone occupée. Sur ordre d’Hitler, ceux-ci sont, à partir du mois de septembre 1940, dépossédés du statut de prisonniers de guerre, remis à la police secrète d’État et conduits dans des camps de concentration en Allemagne. C’est le cas d’Antonio Mercadal (surnommé Xuqui), l’aîné de la famille.
A priori célibataire et en tous les cas sans enfant, il a été affecté à la 10è CTE. Au printemps 1939, cette compagnie est appelée à La Condamine-Chatelard, dans la vallée de l’Ubaye pour effectuer des travaux d’entretien de la route et du tunnel du Parpaillon. La suite est plus incertaine, Antonio Mercadal semble être passé par Saint-Médard-en-Jalles (Gironde) puis à Ars-en-Moselle près de Metz. C’est là qu’il est fait prisonnier en juin 1940 et affecté dans un commando de travail au Stalag XI B de Fallingbostel (au nord de Hanovre).

Gazé puis incinéré dans un four crématoire.
Il est ensuite transféré le 27 janvier 1941 au sinistre camp de Mathausen puis le 15 août 1941 il est affecté au camp de Gusen en Autriche. Sur les rives du Danube, les Nazis y exploitent les carrières de granit, grâce notamment à l’envoi dès 1940 de milliers de Républicains espagnols qui vont construire ici la forteresse. Là se trouve le tristement célèbre « escalier de la mort ».
Dans ce camp jumeau de Mauthausen, les détenus jugés « non éducables » n’avaient qu’une très faible espérance de survie. Le taux de mortalité extrême du camp a d’ailleurs imposé la mise en activité d’un four crématoire dès janvier 1941 où sont incinérés les cadavres.
Non loin de là se trouvait le château de Hartheim, centre d’euthanasie nazi. C’est là qu’Antonio Mercadal est gazé le 28 septembre 1941 dans le cadre du programme « Aktion 14f13 ». Cette opération du Troisième Reich était destinée à sélectionner et tuer les prisonniers malades, âgés ou dont l’état physique ne permettait plus d’effectuer un travail rentable selon les critères nazis. Antonio Mercadal avait seulement 36 ans.


Sources : enquête réalisée par Josep Portella (Minorque Espagne) et Pierre Thiolière (Villars) ; mémorial du camp d’Argelès ; bulletin hispanique sur les compagnies de travailleurs étrangers 5 https://doi.org/10.4000/bulletinhispanique.4328) ; registre d’état civil et registre scolaire de la commune de Villars ; archives espagnoles des déportés dans les camps de concentration (http://pares.mcu.es/Deportados/servlets/ServletController…) .