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L’anémie des mineurs

L'ankylostomiase, une maladie des mineurs

L’ankylostomiase ou ankylostomose est une maladie parasitaire due à un ver nématode, l’ankylostome (Ancylostoma duodenale). Cette maladie est endémique des régions tropicales mais ici, nous allons nous intéresser aux cas des mineurs de notre région.

Ce ver a été découvert en 1838 par Angelo Dubini lors de l’autopsie d’une jeune fille morte de pneumonie à l’hôpital de Milan. Intrigué, le médecin fit des recherches sur d’autres cadavres et déclarait, en 1849, que 20% de ses autopsies révélaient ce parasite sans que l’on puisse lui attribuer le décès. Cependant, les personnes porteuses étaient toujours amaigries et diarrhéiques. Dans les années qui suivent, ce parasite est signalé dans différents pays tropicaux. En Europe, le ver semblait se concentrer surtout en Italie.

Vers 1880, le percement du tunnel du Saint-Gothard commence. Le professeur Bozzolo découvre l’ankylostome chez un ouvrier anémié qui meurt rapidement, l’autopsie révèle 1500 parasites dans l’intestin. Le 18 mars 1880, un rapport médical signale que la « maladie du Saint-Gothard » est due à ce ver. Sans traitement, cette maladie conduit à une anémie sévère parfois mortelle.

Ankylostome mâle
Oeuf d'ankylostome (divisé en 4 cellules)
Alfred Riembault

L’anémie des mineurs avait fait l’objet d’observations dans les mines d’Anzin et de deux mémoires écrits en 1802 et 1803 par Jean-Noël Hallé (1754-1822), professeur au Collège de France et à la Faculté de Médecine.

Cette maladie était alors inconnue dans notre région. Les premiers cas ont été décrits vers 1830 à Rive-de-Gier. Il y a tout lieu de penser que le parasite a été apporté par des ouvriers venus d’Italie pour travailler dans les verreries qui s’ouvraient dans la région.
Le premier cas à Saint-Étienne est signalé par Alfred Riembault, médecin à l’Hôtel-Dieu, dans une communication à la Société de médecine de la Loire le 14 mars 1859.

La Première Épidémie et l’Amélioration de l’Aérage

La Compagnie de Villeboeuf fonce le puits Pélissier à partir de 1859. Dès 1863, une épidémie d’anémie touche 180 mineurs, soit environ 10 % de l’effectif, causant 14 décès. Cette épidémie cesse en 1867 avec l’ouverture du puits Ambroise et son raccordement au puits Pélissier, grâce à une meilleure circulation de l’air dans les galeries.

Premières Recherches sur l’Origine de l’Anémie

En 1875, la Société de médecine de la Loire met au concours la question de l’origine de cette anémie. Parmi les six rapports présentés, celui primé conclut que l’air vicié est responsable, car l’amélioration de l’aérage intervient dans la guérison.

La Découverte de l’Ankylostome

En décembre 1881, le professeur Perroncito de Turin, ayant étudié une anémie similaire chez les ouvriers du tunnel du Saint-Gothard, découvre des œufs d’ankylostome dans les selles de trois mineurs anémiés à Saint-Étienne. Il associe cette maladie à l’ankylostome. Cependant, en 1882, les docteurs Trossat et Éraud concluent que l’anémie des mineurs de la région est différente et que le parasite ne peut être l’unique cause.

Les Débats Continuent

Dans une publication de 1892, le docteur Auguste Roux minimise le rôle du parasite et attribue l’anémie aux gaz délétères des mines mal aérées. Ce débat persiste jusqu’à une enquête approfondie demandée par le ministre des Travaux publics en 1904-1905.

Les Conclusions de l’Enquête Nationale

L’enquête de 1904-1905 révèle une grande variabilité dans la contamination des puits. Les mines sèches et poussiéreuses sont peu touchées, contrairement aux mines humides, où la température joue aussi un rôle clé : les puits frais sont moins contaminés que les puits chauds. Enfin, l’apport du parasite par des mineurs porteurs explique l’apparition de foyers dans des galeries jusque-là indemnes.

Cycle de Vie de l’Ankylostome

L’œuf d’ankylostome nécessite humidité, chaleur (au moins 22 °C), et oxygène pour éclore en larve dans le milieu extérieur. Une fois enkystée, la larve attend d’être ingérée ou pénétrer la peau d’un hôte, où elle se développe dans l’intestin. Là, le ver adulte se reproduit, et une femelle peut pondre jusqu’à 10 000 œufs par jour.

Ce long combat pour comprendre et maîtriser l’anémie des mineurs montre comment les progrès scientifiques, conjugués à une observation rigoureuse, ont permis de résoudre un problème complexe de santé publique.

Prévenir la maladie

La contamination d’un puits est causée par des excréments contenant des oeufs. L’absence de toilettes au fond était la cause de la prolifération du parasite. L’hygiène insuffisante se traduisait par des démangeaisons et ulcérations de la peau par lesquelles les larves pénétraient dans l’organisme du mineur.
Arrivées dans le sang, les larves passent dans les poumons, remontent jusqu’au pharynx où elles sont avalées et se logent alors dans l’intestin.
Éloigner quelques temps le malade de la mine permet d’éviter la propagation du ver.

Comment éviter l'éclosion des oeufs dans les mines ?

  • Les mines sèches sont poussiéreuses et font courir le risque de coup de poussière, elles sont donc arrosées. Que l’humidité de la mine soit naturelle ou artificielle, il faut éviter les eaux stagnantes par drainage.
  • Augmenter la circulation d’air, ce qui présente le double avantage de faire baisser la température rendant moins probable l’éclosion des oeufs et d’améliorer la qualité de l’air respiré par les mineurs les rendant plus résistants au parasite.
  • Si aucune déjection de mineur porteur n’est déposée sur le sol des galeries, la mine ne sera pas contaminée. Il faut donc convaincre les ouvriers d’éviter d’avoir recours à cette pratique. Mis à part l’installation de toilettes à la base du puits, il n’est pas bien facile d’en disposer dans les galeries. En cas d’urgence, le mineur était invité à utiliser une benne de remblais qui était nettoyée au jour.
  • Le nettoyage des galeries fait disparaître les bois moisis ainsi que les boues, milieux propices au développement de la larve.
  • Empêcher la pénétration du ver dans l’organisme. Les mineurs doivent cesser de travailler pieds nus et éviter les contacts avec les parois humides. Il a été recommandé de mettre en place des réservoirs d’eau salée pour le nettoyage des mains au moment du repas. Le sel ne permet pas au parasite de survivre. Enfin, la douche à la sortie et le séchage des vêtements de travail sont recommandés pour éliminer les larves.

Traiter la maladie

Le développement de dispensaires a permis de guérir les malades de cette anémie. Les traitements, empiriques au début, ont bien entendu évolué avec le temps.
À Saint-Étienne, l’hospice du Soleil comprenait un dispensaire spécialisé dans le traitement de cette maladie. Cet établissement destiné aux mineurs a été totalement détruit par le bombardement du 26 mai 1944 faisant 16 morts dont 5 religieuses de Saint-Vincent-de-Paul qui y travaillaient.
Reste du dispensaire de l'hospice du Soleil après le bombardement.

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