Le couvent Saint-Joseph mis à sac
Dans la soirée du vendredi 14 avril 1848, de nombreux agitateurs (les témoignages de l’époque parlent de 300 personnes ou 150 personnes, c’est selon), ont pris d’assaut trois couvents tenus par les soeurs de la communauté de Saint-Joseph et implantés sur les communes de Saint-Étienne (à Montaud), Saint-Priest-en-Jarez et Villars.
Pour mieux le comprendre, il faut replacer ce fait divers dans son contexte historique. La révolution de 1848 avait grondé à Paris en février et elle eut pour conséquence de renverser la Monarchie de juillet de Louis Philippe d’Orléans et d’instaurer la 2è République. Un peu partout en France se propagea une certaine agitation avec la peur, pour les notables et les défenseurs de la Monarchie, d’un retour à la Terreur. Si cette Révolution de 1848, qui a sa place dans les livres d’histoire, fut bien moins anticléricale que celle de 1789, les « Bonnets rouges » commirent cependant quelques dégâts. Ce fut donc le cas à Villars.
La concurrence des ateliers couvents
Dans ce contexte, les ouvriers tisseurs de la région stéphanoise, affectés par le chômage, mirent à sac les « ateliers couvents » de tout le secteur. Ils estimaient en effet que ceux-ci leur faisaient une déloyale concurrence, les religieuses utilisant une main d’oeuvre féminine sous payée, leur permettant de pratiquer des prix très bas et d’obtenir ainsi des commandes.
Etait-ce réellement le cas pour le couvent de Villars ? On peut en douter car on n’a pas trouvé trace d’une éventuelle production locale. Il y avait seulement quatre rouets à dévider dans la maison. Le rôle des religieuses de Villars était principalement d’assurer l’instruction et l’éducation des jeunes filles. Elles se présentent d’ailleurs comme « une communauté de soeurs institutricesV». Néanmoins le couvent n’échappa pas à la vindicte populaire.
Ce couvent était situé rue Danton entre la boulangerie de l’Arsenal et les salles paroissiales (première mairie de Villars). Le bâtiment n’existe plus, il a été détruit en deux temps. D’abord au début des années 60 avec l’élargissement de la rue et la création de places de stationnement, puis en 2010 avec la construction d’un nouvel immeuble
Pistolets, haches et barres de fer...
Ce qu’on en sait aujourd’hui, par le relevé des procès-verbaux enregistrés à l’époque, c’est que : « un rassemblement composé d’hommes a envahi l’établissement des soeurs de Saint-Joseph pour y casser, enlever, piller et incendier tout ce qui s’y trouvait, linges et meubles ». Le montant des dégâts était estimé à la somme de 3 899 francs ce qui, à l’époque, correspondait sensiblement à trois années de salaire d’un mineur piqueur.
Le maire de Villars, Étienne Bauzy, appelé d’urgence sur place, fut témoin de l’attaque. Voici ce qu’en rapporte le compte-rendu de la cour d’assises de la Loire dans son audience du 29 juin 1848 : « Tout à coup il (le maire) entendit des exclamations de terreur. On criait dans le bourg : voici les voraces ! Il se porte au-devant de la troupe qui s’avançait et demanda à ceux qui la composaient ce qu’ils venaient chercher à Villars. Ils répondent qu’ils venaient briser les métiers. Le témoin cherche alors à leur faire entendre raison. Il leur explique que les soeurs ne travaillaient pas et qu’il était inutile de rien briser. Ses paroles furent perdues. Sur l’insistance des émeutiers, le témoin fut obligé de consentir à ce qu’ils entrassent dans la maison pour s’emparer des métiers, avec la promesse toutefois qu’on ne toucherait pas à autre chose. Ils s’y précipitèrent, mais leur premier cri en entrant fut : « Où est la cave ? ». Le maire était resté dans la cour. Il vit bientôt les meubles jetés par la fenêtre et complètement brisés. »
Le curé de Villars (à l’époque il s’agissait de Mathieu Massard) témoigne quant à lui « avoir vu arriver une centaine d’émeutiers qui ont tout brisé et tout cassé dans le couvent alors qu’il n’y avait dans cette maison que quatre rouets à dévider ». D’après d’autres témoignages, des habitants de Villars et quelques élus locaux auraient employé tous les efforts possibles pour s’opposer à cette dévastation. En vain, face à des individus « armés de pistolets, haches et barres de fer ».
Une grosse facture à payer et à partager
Comme le prévoyait la loi à l’époque, c’est la commune qui fut invitée à payer les pots cassés suite à ces exactions commises sur son territoire, sans les avoir empêchées. Il aurait en effet fallu mobiliser la garde, composée essentiellement d’ouvriers mineurs et qui travaillaient au moment des faits. Et le maire de Villars de concéder que « si la garde locale disposait bien de quelques fusils, elle n’avait point de cartouches, bien qu’ayant réclamé des munitions à Saint-Étienne, qui lui avaient été refusées » ! Dans cette affaire dite du pillage et du saccage des couvents, 18 hommes et 3 femmes furent arrêtés, emprisonnés et condamnés.
C’est ensuite le volet financier lié à la prise en charge des dégâts qu’il fallut traiter.
La communauté de Saint-Joseph intenta donc une action en justice contre la commune de Villars qui à son tour exerça un recours en garantie contre la ville de Saint-Étienne, les responsables des dégâts commis étant identifiés comme venant de cette cité. La justice ne donna qu’en partie raison à la municipalité villardaire. Par un jugement du tribunal civil du 12 février 1849 les communes de Villars et de Saint-Étienne furent condamnées à payer aux religieuses la somme totale de 3 798 francs tant pour indemnités que pour dommages et intérêts causés à leur propriété et cette somme payable dans la proportion suivante : trois quarts à la ville de Saint-Étienne et un quart à la commune de Villars. Appel de ce jugement a été interjeté par la commune de Villars et la cour d’appel de Lyon par son jugement du 9 juillet 1850 a confirmé le premier jugement.
En conséquence la commune de Villars fut obligée de payer la somme de 968 francs. Le maire, Gustave Delahante (qui avait entre-temps succédé à Bauzi), fit valoir l’insuffisance des ressources de la commune pour faire face à cette dépense. Il fallut donc recourir à une imposition extraordinaire qui d’après la loi de vendémiaire dut s’étendre sur tous les habitants domiciliés à Villars à cette époque.
Précisons pour finir que cette révolution de 1848 avait aussi eu pour conséquence de bousculer l’administration communale. La municipalité conduite par Étienne Bauzi remplaça en mars 1848 celle de Pierre Flachat dans une ambiance haineuse. Cette période très agitée se termina deux ans plus tard par la suspension (prononcée par le Préfet) du maire Bauzi. Un cas sans précédent dans l’histoire de la commune. André Vial (adjoint) assura quelques mois l’intérim et c’est Gustave Delahante, élu en septembre 1850 qui ramena la sérénité attendue et qui hérita au passage de l’ardoise à payer.
Sources : archives municipales, délibérations du conseil municipal, session de la cour d’assises de la Loire du 29 juin 1848. Photos IGN.
©H&P-Pierre THIOLIÈRE